Ceci fut d'abord un chapitre inédit d'un roman interactif lancé par les Éditions Cylibris, à l'initiative d'Olivier GAINON.
La paternité du "TUBE" et du "S.E.C.R.E.T." revient à Philippe Picavet.
Les personnages sont la création collective de : Jérôme Olinon, José Caballero, Philippe Picavet, Renaud Collet, Jean-Marc Julia, et Vincent Fèvre.
Les développements de l'intrigue, de votre serviteur.
Dans la cabine téléphonique du bas de son immeuble, Antoine Lancelot, inspecteur en congé du commissariat du XIIe arrondissement, décoda une suite de majuscules qu’il releva dans un petit carnet noir qui ne le quittait jamais et composa le numéro correspondant. Un accent texan, grave et chantant, se fit entendre :
— Steve Parish à l‘appareil. J’écoute.
— Salut, Steve, c’est Antoine.
— J’ai un truc pour toi. Urgent. Est-ce qu’on peut se voir ?
— OK, Antoine. Dans une demi-heure, là où tu sais. Bye.
Marc Pleuvrier, plombier en rupture probable de contrat pour cause de détérioration de son véhicule de travail, songea que le nom entendu devait être une couverture. Ils avaient pris tous les deux trop de précautions par ailleurs. Numéro codé, ni noms propres, ni adresses. Aucune information importante par téléphone. Du travail de pro.
Ils s’étaient retrouvés dans la salle de billard d’une brasserie ordinaire, au milieu d’un boulevard, à un quart d’heure de là. Et c’est autour d’un snooker, dans le fracas des boules et le brouhaha de la musique d’ambiance qu’Antoine raconta à Steve comment Marc, à la suite d’un double accident de voiture, s’était retrouvé en possession d’un tube métallique aux propriétés plus qu’étranges.
Celui-ci, accoutumé à la fréquentation du bizarre, mais convaincu par l’expérience que les faits les plus surprenants finissaient presque toujours par trouver des explications logiques, ne s‘étonna de rien. Et personne, sans doute ne remarqua qu’à la fin de la partie, Marc repartait sans son sac noir, posé sur une chaise devant le Coca de Steve.
— Donne-moi 72 h - avait dit Steve.
— D’accord. On fait comme d’habitude...
Au retour de l’entrevue avec l’enquêteur du Service d’Enquêtes Criminelles, de Recherches et d'Eradication du Terrorisme (SECRET !) et après avoir fait le point de la situation avec Antoine et son collègue Berthier, Marc avait quitté le domicile du policier, bras dessus bras dessous avec son amie Christine, pour rentrer chez lui, enfin... chez eux. Le coupé blanc, garé en catastrophe sur le trottoir au pied de l’immeuble par celle-ci à son arrivée, ramena à son esprit l’image fugitive d’une Porsche 911 rouge, avec le souvenir d’une autre jeune femme, élégamment vêtue, elle aussi, belle, très belle. Puis aussitôt après, lui revint en mémoire, l’image violente et nette d’un autobus, lancé à plein gaz, fonçant sur eux, fonçant sur elle.
Instinctivement, il eut un geste de protection et attira celle, qui marchait à ses côtés derrière le platane qu’ils venaient de dépasser, alors qu’au même instant, un 4x4, aux vitres fumées, surgi d’on ne sait où, et roulant sur le trottoir, s’en venait racler de tout son côté droit l’arbre providentiel, avant de disparaître au carrefour dans un crissement de pneus.
— Heureusement que tu as vu arriver ce fou, sinon... - dit Christine de Limelette, tremblante et pendue au cou de Marc.
— Je ne l’avais pas vu. J’ai eu un flash, en voyant ta voiture. Ça m’a rappelé mon accident de l’autre jour.
— Quel accident ? Tu as eu un accident ?
— Un accrochage avec la camionnette du patron, Boulevard Saint-Germain. Une fille, dans un coupé, qui a grillé un feu rouge. Elle voulait pas faire de constat et a offert de me dédommager en liquide, et largement.
— Et tu as accepté ?
— Je pouvais pas, et c’est ce que j’étais en train de lui dire, quand un autobus a foncé sur nous...
— Un autobus ? Comment cela, un autobus ?
— Oui, j’te jure, j’ai tout raconté à Antoine, t’auras qu’à lui demander : un autobus de touristes asiatiques.
— Et...
— Et j’ai réussi à l’éviter en faisant un bond de côté, mais il a chopé la fille et sa bagnole, et c’était pas beau à voir après.
— Deux tentatives d’assassinat, en quelques jours, contre un honnête plombier, c’est un peu beaucoup, non ?. J’espère que tu vas porter plainte ?
— T’en fais pas. C’est Antoine qui s’en occupe.
— Ah, alors, si c’est Antoine qui s’en occupe, évidemment...
— On fait dans l’ironie, maintenant ?
— Excuse-moi. Je décompresse. C’est que cela devient dangereux de te fréquenter, semblerait-il. Tu vas me faire regretter d’être revenue.
— Tu sais, la cible, ça pouvait être toi aussi ?
— Moi ? Et pourquoi cela ?
— Je ne sais pas moi, être la fille de Jacques de Limelette, haut fonctionnaire des services secrets français, ça peut aussi être dangereux, la preuve.
— Arrête, veux-tu, ce n’est pas drôle.
Ils s’étaient réfugiés dans le coupé blanc, et machinalement Marc avait remonté la capote, bien qu’il n’y eût aucun nuage dans le ciel Toutes ces semaines sans Christine avaient été si longues, mais c’était fini à présent... Elle était là dans ses bras. Finalement, Marc songea qu’il avait mieux à faire que le travail de la police. Demain, à la première heure, il irait mettre Antoine au courant de ce qui n’était plus qu’une péripétie, mais leur avait causé une belle frayeur. D’ailleurs, sous ses baisers, Christine tremblait encore un peu...
Steve Parish n’avait pas vraiment le choix. Antoine lui avait demandé le black-out pour quelques jours. Mais pour résoudre l’énigme scientifique du problème, et vu les implications étrangères, voire plus, du phénomène, il fallait bien s’adresser à un laboratoire compétent. Et il n’y en avait pas trente-six à Paris. Une fois écartés ceux de la Préfecture de Police, puisqu’Antoine n’avait pas voulu pour l’instant mettre ses supérieurs au courant, ce qui, entre parenthèses, pouvait lui causer des ennuis, il y avait encore ceux de la “piscine” des Tourelles, siège de la DGSE, le contre-espionnage français. Mais Marc les lui avait déconseillés, en raison de l’implication, improbable sans doute, mais néanmoins possible, de Christine de Limelette, dont le père, comme on vient de l’apprendre, gravitait dans l’orbite des services secrets français. Quant à ceux de l’OTAN, ils se trouvaient tous à l’extérieur du territoire français, et il valait mieux ne pas sortir “ça” de France pour l’instant. Restait le COFAS. ! Le Centre Opérationnel des Forces Aériennes Stratégiques de Taverny n’abritait pas seulement dans ses silos souterrains des installations stratégiques de défense, mais aussi tout un tas de laboratoires plus sophistiqués les uns que les autres, financés par les fonds secrets du Ministère de la Défense et connus d’un très petit nombre de hauts responsables de l’Etat. Et Steve, y avait ses entrées. Leurs physiciens, chimistes et astrophysiciens sauraient à coup sûr, eux, déterminer la nature, la provenance, et toutes les propriétés du TUBE.
En effet, le plus urgent, selon lui, était, primo, de déterminer quel pouvait bien être l’usage de cet engin (était-ce une arme, un vecteur de communication, un outil thérapeutique, les trois à la fois... ?) et ce serait le boulot des laboratoires, et secundo d’identifier avec précision tous ceux qui couraient après ; cet Américain qui avait agressé Marc chez lui, il y avait quelques heures et que le tube, manœuvré par mégarde, avait réduit en glace pilée, ces petits hommes aux yeux bridés, entrevus par Marc dans l’autobus qui avait pulvérisé la Porsche, ces êtres difformes venus d’ailleurs (cette femme à la tête oblongue et aplatie, apparue puis disparue chez Antoine), sans compter sans doute plusieurs services secrets, et ça c’était son boulot, à lui et au SECRET. L’affaire ne s’annonçait pas simple. Apparemment, Marc avait mis le nez là où il ne fallait pas, et Antoine aussi, maintenant...
L’après-midi même, au fond du silo 3 de Taverny, a vingt mètres sous terre, l’astrophysicien qui examina le TUBE n’eut pas beaucoup de peine à déterminer que le métal dont il était constitué était du carbure de titane. Cela ne l’étonna pas, car le titane est un des trois principaux composants des nodules métalliques des météorites avec l’aluminium et le calcium. La nature extra-terrestre de l’objet était donc possible. Mais ses collègues, physicien et chimiste, lui rétorquèrent qu’il y avait belle lurette qu’on utilisait le carbure de titane dans la fabrication des outils les plus divers, et que le titane abondait sur terre sous deux formes oxydées principales ; le rutile et l’ilménite. Le rutile - TiO2 - se présentait sous forme de cristaux dorés, d’où son nom ancien (du latin rutilus, brillant) et l’ilménite - FeTiO3 - sous celle de cristaux rhomboédriques.
— Et, ça veut dire quoi, ça, en clair ?
— C’est vrai, excuse-moi, l’habitude... que leurs six faces ont une forme de losange.
— Eh bien voilà, tu vois, quand tu veux...
Bref, dans son apparence et sa composition, le TUBE était banal à pleurer. Restait le problème des faux boutons-poussoirs. Il n’y avait aucun mécanisme. C’étaient donc seulement deux emplacements en creux, situés sur celui-ci, à quelques centimètres de chaque extrémité. Steve avait prévenu les savants que des phénomènes étranges s’étaient produits à plusieurs reprises lorsque certaines personnes avaient appuyé simultanément leurs pouces à ces endroits. On fit donc dans une enceinte confinée un premier test avec un robot manipulateur. Il ne se passa rien. Steve se préparait à se porter volontaire pour expérimenter l’engin dans des conditions réelles, lorsque le physicien eut l’idée de faire passer dans les extrémités manipulatrices du robot un micro-courant électrique équivalent à ceux qui parcourent la peau. Miracle ! Le tube commença à vibrer et à émettre une modulation continue que l’on mesura et enregistra aussitôt. Mais rien d’autre ne se produisit.
— Laissez-moi essayer, les gars - dit Steve.
— Tu nous signes une décharge avant, alors.
— Vous alors, vous êtes bien des fonctionnaires !
— Bon, d’accord, mais tu restes en dehors de l’enceinte et tu passes les bras dans les manchons de manipulation ; je vais ôter les gantelets.
Steve s’approcha de la paroi vitrée qui divisait le laboratoire en deux, passa les deux bras dans les manchons qui reposaient sur la table de l’autre côté et se saisit du TUBE, qui y reposait. Il eut un regard pour ses deux amis, qui firent un signe d'acquiescement ; alors, tenant le tube par en-dessous, il appuya d’abord sur le creux de gauche. Rien. Puis sur celui de droite. Rien non plus. Les trois hommes échangèrent un nouveau regard, puis cette fois, il appuya simultanément sur les deux emplacements. Aussitôt, de nouveau, la vibration apparut et la modulation se fit entendre, et Steve eut la surprise de voir et d’entendre Antoine, à qui il était en train de penser, dans une espèce de halo qui flottait devant lui, au centre de l’enceinte de confinement.
— Eh, les gars, vous voyez ce que je vois ?
— Non, rien. Pourquoi ?
— J’ai mon ami, Antoine, “en ligne” comme au visiophone, devant moi, dans un halo.
— Bon. Essaye de lui parler, pour voir si la communication est en duplex.
— OK. Antoine, c’est Steve ? Tu m’entends ?
— Non seulement, je t’entends, mais je te vois, flottant sur une espèce de nuage dans mon bureau. Ca m’a fait un choc. Attends deux secondes, je vais fermer la porte, je tiens pas à ce que quelqu’un entre et voie ça.
— Un autre ne verrait sans doute rien, mais ferme-la quand même.
Les deux savants, pour ne pas perturber “la séance” venaient d’écrire sur un panneau, au feutre, des instructions pour Steve. Il lut mentalement : “Dis à ton correspondant de se contenter de penser ce qu’il veut te dire, sans parler, pour voir”. Avant qu’il ait eu le temps de réagir, Antoine répondit aussitôt : “O.K, j’ai compris”.
— Apparemment, ce truc fait au moins fonction de vidéo-transmetteur télépathique murmura le physicien à l’oreille de son collègue. Il poursuivit :
— Il faudrait maintenant vérifier si c’est aussi une arme, de défense, d’attaque, ou les deux, selon la volonté de l’utilisateur, car cela semble obéir à la volonté.
Vu ce qui s’était produit chez Antoine avec l’américain, l’expérience était plus risquée que la précédente, et comme il n’y avait aucun mécanisme de sélection des fonctions, il fallait supposer que le réglage se faisait en fonction de la situation et de la volonté du porteur, et que l’objet devenait une arme létale de défense cryogénique face à une agression et une épée ou un pistolet-laser pour attaquer.
On alla réquisitionner dans les cages du laboratoire de biologie voisin, un des chiens utilisés au mépris de la loi pour certaines expériences, (ici tout ou presque était en marge de la légalité). On l’excita un peu pour qu’il se montre agressif, mais cela ne donna rien. Steve avait beau pointer le TUBE sur le chien qui commençait à montrer les crocs, rien. Mais Steve n’avait pas vraiment la volonté de tuer le chien et il n’en avait pas peur non plus...
Au terme d’une après-midi entière d’expériences, plus folles les unes que les autres et qu’il vaut mieux ne pas révéler ici, Steve et ses amis en vinrent à émettre l’ahurissante hypothèse suivante : le TUBE était une sorte de bâton de pouvoir, un outil polyvalent qui obéissait à la volonté de son porteur et pouvait servir à tout : communiquer, se défendre, attaquer, soigner, diminuer, agrandir, soumettre,... Pas étonnant qu’on se batte pour entrer en sa possession. Et plus question de garder ça pour soi plus longtemps.
Des téléphones sur lignes spéciales se mirent à sonner dans Paris. Des véhicules aux vitres opaques se déplacèrent à travers la capitale. En quelques heures, la nouvelle fit le tour de la terre, grâce aux agents doubles des uns et des autres. Mais officiellement, il ne s’était rien passé. Le “bâton de pouvoir” était enterré au fond du silo 3 de Taverny. Et le monde allait son chemin. Pendant que toutes les grandes puissances politiques, industrielles et criminelles commençaient à ourdir des plans pour s’en emparer...
©Pierre-Alain GASSE, 1999.
Vous êtes le ième lecteur de cette nouvelle depuis le 28/05/2000. Merci.
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