Je viens d'écrire une nouvelle ; j'y j'imagine que je suis reçu dans une émission télévisée pour parler de mon premier livre.
Comme fiction, on ne peut pas mieux faire. Cela présente autant de chances de se produire que le Pape d'autoriser le mariage des prêtres ou le Premier Ministre d'annoncer la suppression de l'impôt sur le revenu !
Pour deux bonnes raisons. Primo, parce que je n'ai encore publié aucun livre. Segundo, parce je suis de ceux qui pensent que lorsqu'il a mis le point final et signé le bon à tirer, l'auteur n'a plus rien à dire. L'œuvre appartient désormais à son éditeur, aux lecteurs et à la critique.
Et cette dernière pensée m'est à tel point douloureuse que le jour où un éditeur classique me dira : "banco !", je me demande s'il ne me sera pas difficile de lui abandonner mes droits. Je ne parle pas des incidences financières - la prise de risques a un prix - mais de mes droits moraux : être son propre éditeur en ligne offre tant de facilités de correction, rectification, ajout, suppression, illustration, diffusion qu'une édition papier au tirage limité chez un petit ou moyen éditeur m'apparaît souvent comme un leurre.
Cependant, le rêve persiste : voir son nom sur une jaquette, tenir dans ses mains l'objet de ses pensées, respirer l'odeur de l'encre et du papier, continuera pendant longtemps encore à tourner la tête de l'écrivain en quête de reconnaissance. Vanité quand tu nous tiens !
Quant à aller se vendre à la télé, quelle galère !
Les émissions de promotion littéraire grand public feraient bien mieux d'inviter des lecteurs passionnés (je sais qu'il en reste !) pour défendre les œuvres nouvelles plutôt que d'infliger aux auteurs des séances de promotion où leurs prestations sont presque toujours en-dessous de leurs écrits.
Écrire n'est pas parler et n'est pas bateleur qui veut.
Si votre sujet est polémique ou scabreux, si vous êtes "fils /fille de", si vous faites partie de la jet set, du microcosme télévisuel, de l'intelligentsia à la mode, si le titre choisi par vous ou imposé par votre éditeur est racoleur à souhait, ou même si vous avez suffisamment de sex-appeal, une "gueule" ou un "look" qui "déchire", ou mieux encore si vous avez défrayé la chronique, à quelque titre que ce soit, alors vous serez invité.
Il suffira qu'on ait déjà parlé de vous ailleurs, que vous connaissiez de près ou de loin l'un des chroniqueurs ou nec plus ultra, l'animateur.
Si vous avez écrit votre livre vous-même, c'est parfait, mais c'est loin d'être indispensable. Un bon prête-nom ferait tout aussi bien l'affaire.
Que votre ouvrage présente ou non des qualités d'écriture est secondaire. On n'en lira sans doute pas une ligne. Et quand bien même on le ferait, ce serait pour en extraire le passage le plus croustillant, le plus vulgaire, le plus osé, s'il existe et sinon, tant pis pour vous.
Votre éditeur l'a choisi sur la foi de quelques pages, les lecteurs l'achèteront d'abord d'après son titre, votre nom, le scandale qui l'entoure, les plus scrupuleux d'après la quatrième de couverture ou quelques paragraphes, mais les chroniqueurs, eux, voudraient vous faire croire qu'ils l'ont lu de A à Z. Le plus souvent, ils l'ont simplement parcouru jusqu'à ce qu'ils trouvent le ou les passages qui serviront d'accroche à leur commentaire.
Mais n'allez pas croire que vous serez la vedette des quelques minutes qui vous seront consacrées. N'auriez-vous pas compris que vous êtes là pour servir de faire-valoir à des commentateurs de tout poil, qui feront leur numéro à vos dépens. Vous serez l'auguste. Félicitez-vous déjà d'être en piste.
Et surtout ne vous avisez pas de faire de l'esprit aux dépens de telle ou tel. Vous êtes là pour faire briller, pas pour briller vous-même. C'est la règle du jeu. Admise par tous. Par le public qui se délecte chaque soir des saillies de l'aréopage et par vous, cela va de soi.
N'oubliez pas que beaucoup ont fait du don de répartie leur fonds de commerce ! Alors, si vous avez l'esprit d'escalier, inutile d'insister. Et si vous êtes inspiré, faites attention à ne pas rejouer l'arroseur arrosé !
Toute règle a ses exceptions. Celle-ci n'y faillit pas.
Car il est des invités qui font l'unanimité et devant lesquels on s'efface. Bien peu.
Il en est quelques-uns qui savent à merveille tirer la couverture à eux ou sont totalement incontrôlables. Cela arrive.
Il en est surtout pléthore prêts à renier père et mère, simplement pour être dans la lumière des projecteurs et que l'on parle de leur "bébé". En bien, si possible, ou en mal, à la rigueur, mais qu'on en parle ! Il en restera bien quelque chose.
Écrire, c'est déjà difficile. Mais se vendre à la télé, quelle horreur !
Et si, absurde hypothèse d'école, cela m'arrivait ?
Refuserais-je tout de go, au risque de voir mon éditeur rompre mon contrat ou avalerais-je mon chapeau, comme tous les autres ?
Ton simple orgueil n'y résisterait pas, mon pauvre ami.
Les media - télévision en tête - font vendre, faute de donner du talent à qui n'en a pas. Et il faut d'abord savoir se vendre ; écrire avec grâce ne suffit plus. Vendre et faire vendre ne sont-ils pas devenus les talents suprêmes ? Le reste n'est qu'accessoire. Un livre qui s'est bien vendu ne peut pas être mauvais.
Entraîner le lecteur dans son monde, respecter la langue et lui rendre allégeance ne sont plus que broutilles. D'aucuns disent qu'écrire a toujours été se prostituer, dans ce cas écrire aujourd'hui, c'est en être réduit à l'abattage.
Les nègres littéraires n'ont jamais autant eu le vent en poupe. Ils pondent des ouvrages comme poules en batterie. Utilisent les mêmes ficelles. Et font le bonheur d'éditeurs qui remplissent leur tiroir-caisse en vendant de la réalité-fiction, vite achetée, vite lue, vite jetée. Ce serait pour financer l'édition d'une littérature de qualité, mais hélas, la bourse du lecteur est déjà vide et son goût déformé.
Certes, il est des chroniqueurs qui aiment les bons livres et leurs écrivains : ils sauraient en parler, mais en ont-ils le temps ? Entre deux galéjades, trois pirouettes verbales, quelques à-peu-près et autant de calembours, le temps est plus que mesuré pour raconter le début d'une histoire, donner envie au lecteur d'entrer dans un monde ou sonder les intentions de l'auteur.
C'est qu'à cette heure, il faut distraire, effacer les soucis de la journée, servir un cocktail excitant et les coups sous la ceinture non seulement sont permis, mais recommandés. Il ne faut surtout pas que l'audience chute.
Autant dire qu'entre la dérision politique, les potins du "show-biz" et le racolage des "people" de tout poil, la littérature n'a qu'une portion bien congrue.
Et malgré tout cela, de temps à autre, une pépite brille soudain dans le ruisseau.
Et l'on se prend à pardonner.
Et à rêver d'y aller.
©Pierre-Alain GASSE, avril 2007.
Vous êtes le ième lecteur de cette nouvelle depuis le 01/11/2007. Merci.
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