La Diligence

©B Vauléon, 2010.

 

L'orage menace. De gros nuages noirs courent dans le ciel. Le vent courbe les rares arbres qui bordent la piste.

Je me retourne. Mes poursuivants soulèvent un épais nuage de poussière rouge qui m'empêche de voir leur nombre exact. Trois ou quatre au moins. Ils tiennent un galop d'enfer.

Et Tornado Creek, le prochain relais de poste est encore distant de plusieurs "miles".

Les sabots de mes chevaux au grand galop frappent de toutes leurs forces la latérite de la piste. Tchac ! Tchac ! Mon fouet atteint la croupe des deux chevaux de tête de l'attelage qui hennissent sous la douleur. Un coup de feu siffle à mon oreille gauche.

Détrousseurs de grand chemin ou indiens rebelles, ils en veulent à notre cargaison, c'est certain et sont armés de carabines Winchester 22 long rifle, on dirait. J'ai reconnu le son que leurs balles produisent. Un sifflement aigu.

En temps normal, dans ces cas-là, je me couche sur l'encolure de mon cheval. Mais là, je suis à la place du cocher sur le siège d'une diligence et ce n'est pas la place la plus enviable en ce moment, je vous le dis ! Même si la cabine me protège, ses parois ne sont pas à l'épreuve des balles 44 Henry utilisées par les carabines modèle 1866.

 Trois sacs de pièces d'or à destination de la banque du Colorado, à Denver, voilà ce que nous transportons.

Le Shériff a déconseillé une escorte trop voyante :

— Une diligence ordinaire, avec des hommes armés à l'intérieur, déguisés en voyageurs, cela devrait suffire.

Oui, mais pas du tout. Et on ne m'a donné que deux hommes d'escorte !

Le plus probable, c'est que quelqu'un ait parlé, dans la chaîne de préparation du convoi. À la maison, sur l'oreiller, ou au saloon, par inadvertance, vantardise ou simple bêtise. Dans l'Ouest américain, dès que l'on entend prononcer le mot "or", tous les bas instincts se réveillent. Pour une once d'or, on pille, on trahit, on tue sans vergogne.

Mais il pourrait aussi s'agir d'un raid au hasard des Indiens Cheyennes. Ils sont coutumiers de ces opérations de harcèlement depuis qu'ils ne sont plus en guerre contre les Arapahos et les Apaches. L'or leur sert à s'armer mieux et davantage. Il ne manque pas de contrebandiers d'armes.

Deux balles sifflent à nouveau à mes côtés. D'un geste instinctif, j'enfonce davantage mon Stetson sur ma tête, pendant que de l'autre main, je cravache à nouveau l'attelage.

Moi aussi, je suis armé d'une Winchester 1866. Elle est dans le coffre sous mon siège, mais j'ai assez à faire à conduire les chevaux. Il faudrait une longue section droite pour que je puisse les laisser courir à bride abattue, sortir l'arme et tirer contre les assaillants.

Mes hommes d'escorte ont enfin relevé les rideaux de cuir et sorti le buste par les fenêtres des portières. Je les entends charger leurs armes. Les premiers tirs retentissent.

Nous voilà à peu près à égalité. On a peut-être une chance de sauver notre cargaison. Mais si un essieu se brise, une goupille saute ou une roue déjante, on est foutus...

Du bout de la maison, une voix m'appelle :

.— Pierrot, Pierrot ! À table ! La soupe est servie !

M... ! Je dois abandonner mon siège. La grand-mère ne rigole pas avec les horaires.

J'ai onze ans et suis assis sur un gros tas de fagots dans la grange, vêtu d'une panoplie de cow-boy, un bâton prolongé d'une ficelle à la main, un vieux feutre noir sur la tête.

Voilà ma diligence Wells Fargo.(1)

(1) Célèbre société américaine de transports terrestres,  puis de services financiers, créée à New York le 18 mars 1852 par Henry Wells et William Fargo.

© Pierre-Alain GASSE, mars 2025.

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