Le Mystère de La Blanche

Impromptu policier1

©2010, Jumeaux&Co

Pour M.-Cl.

Juillet finissait.

En ce jeudi 27, en différents points d'Europe, quatre hommes achevaient les préparatifs d'un voyage prévu de longue date.

Le lendemain, le train de nuit Paris-Briançon amenait monsieur G. vers le Queyras, où il possédait un chalet.

À près de deux mille kilomètres de là, tout près de la frontière de l'Espagne et du Portugal, monsieur B. et son épouse achevaient des vacances galiciennes et remontaient vers le Nord.

Enfin, le samedi 29, en gare de Saint-Brieuc, deux jumeaux, messieurs R. e t M. hissaient leur valise dans le train pour Paris.

Pris isolément, ces déplacements semblaient bien anodins.

Mais pourtant, nous savions que ces quatre hommes avaient rendez-vous dans un lieu que nous ignorions encore pour une rencontre au sommet "de la plus haute importance", selon notre informateur.

C'est pourquoi ils étaient surveillés discrètement.

Les ordres étaient formels 1 - découvrir le lieu du rendez-vous. 2 - collecter et rapporter tous renseignements sur cette rencontre.

Le samedi 29, après avoir fait étape à Orthez, M. et Mme B. obliquèrent soudain vers l'Est, alors qu'ils habitaient en Bretagne.

Quant aux jumeaux R. et M., à peine arrivés à Paris, ils se firent conduite en taxi à la gare d'Austerlitz, où ils prirent eux aussi le train de nuit pour Briançon, quarante-huit heures après monsieur G.

Quelques recoupements élémentaires nous permirent rapidement d'établir qu'ils convergeaient tous vers une des vallées du Queyras.

Mais nous ignorions encore laquelle. Le chalet de monsieur G.  ne figurait pas sur nos cartes.

"Une rencontre au sommet" disait notre informateur. Les activités officielles de nos quatre messieurs étaient fort diverses : un économe diocésain, un professeur en retraite, un chef pâtissier, un cuisinier.

De quoi donc devaient-ils se parler ?

La proximité de la frontière italienne et et les cîmes environnantes nous amenèrent à penser que la rencontre pourrait bien avoir lieu dans la zone des principaux sommets du secteur. Un refuge ! Cela semblait évident lorsqu'on y pensait.

Nous fîmes mettre sur écoutes les lignes téléphoniques et les relais concernés.

Quarante-huit heures plus tard, une réservation au nom de Veillon pour le refuge de la Blanche retint notre attention. Six personnes. Les autres réservations allaient de deux à huit.

Situé à 2500 m d'altitude, au fond de la vallée de St-Véran, le refuge de la Blanche est l'un des sept refuges d'altitude du Queyras.

S'il s'agissait de transferts quelconques vers l'Italie, celui du Col Agnel aurait semblé plus indiqué. Ce serait un point à élucider.

Nous possédions des photos des quatre hommes prises par nos informateurs locaux. Et l'hélicoptère du PGHM nous confirma le mercredi 1er août le départ d'un groupe de six personnes, quatre hommes et deux femmes, du lieudit Le Moulin en Saint-Véran pour la Chapelle de Clausis et le lac de la Blanche.

Ils atteignirent le refuge avant 16 h et furent les premiers enregistrés. Le nom donné pour la réservation était faux. En réalité, ils s'appelaient tous Vauléon. Un nom d'origine bretonne, pas très répandu. C'était quatre frères. Les clichés transmis nous l'avaient déjà indiqué. Il n'y avait guère de doute. C'était confirmé à présent.

Au chalet, ils se firent remarquer en jouant bruyammant à un jeu de cartes enfantin, avant et après le repas.

Au matin du jeudi 2, c'est monsieur B. qui fut le premier levé et, à 9 h sonnantes, le groupe prenait la direction du col de Saint-Véran, sac au dos.

Allaient-ils passer en Italie ?

Le Génépi de la veille avait, semble-t-il, laissé des traces dans quelques organismes et le départ abrupt de la course disloqua bientôt la cohorte.

À mi-trajet; ils établirent un camp provisoire, avec l'épouse de monsieur G. pour monter la garde. Le reste de la troupe reprit sa progression vers le col de Saint-Véran. Là, deux hommes, messieurs B. et M. passèrent du côté italien, tandis que les trois personnes restantes, l'épouse de monsieur B. messieurs G. et R. entreprenaient l'ascension du pic de Caramantran, d'où il redescendirent trois quarts d'heure plus tard, sous un ciel menaçant.

Nous savons que les deux hommes restés au col n'eurent de contact avec personne. Nous avons fouillé les lieux et n'y avons rien trouvé.

Le groupe est redescendu au pas de course et sous l'orage naissant jusqu'à l'ancien poste de douane sous la chapelle de Clausis où il a bivouaqué, en compagnie de quelques autres touristes piégés par l'orage.

À la première accalmie, ils sont redescendus, quatre par la route et deux par la navette, puis ont rejoint leurs véhicules abandonnés la veille.

Au terme de cette enquête, nous pouvons établir qu'aucun document ou marchandise n'a quitté la France, que les quatre frères de l'expédition avaient sans doute simplement projeté de passer ensemble une nuit en refuge et que la surveillance dont ils étaient l'objet sur la foi d'informations hasardeuses, voire malveillantes, n'était pas justifiée. Mais nous avons appliqué le principe de précaution. Ce sont les ordres du Service.

Cependant, après avoir transmis cette note à ma hiérarchie, j'ai soudain remarqué que les quatre initiales des protagonistes formaient le sigle BRGM, comme celui du Bureau des Recherches Géologiques et Minières. Drôle de hasard ! En consultant la carte géologique du Queyras et un rapport du BRGM justement de 1996, j'ai eu la confirmation qu'une mine de cuivre avait été exploitée à Saint-Véran jusqu'en 1960. D'ailleurs, les ruines des installations de la mine sont encore bien visibles lors de la montée à Clausis.

Le cuivre est certes un métal toujours stratégique, mais ce sont les métalloïdes rares qui sont plutôt recherchés depuis quelques années.

Alors, foin d'hypothèses fumeuses ! J'ai conclu que mon imagination fertile me jouait encore un de ses tours et mis le point final à cette histoire.

© Pierre-Alain GASSE, 2007-2024.

1 Ce court texte a été improvisé lors d'une soirée avec mes frères dans un chalet de Molines, tout près de l'auberge de Gaudissard, en 2007. Retrouvé et très légèrement remanié en 2024.

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