Note liminaire :
Ami lecteur,

Les noms des quelques personnages terrestres de cette nouvelle et leurs actions ont été empruntés, avec l’aimable autorisation des défuntes Éditions Cylibris àun roman interactif. Ils sont la création collective de :

Jérôme Olinon,
José Caballero,
Philippe Picavet,
Renaud Collet,
Jean-Marc Julia,
et Vincent Fèvre.

Tout le reste est de votre serviteur.

APERÇU DU 3e MILLÉNAIRE

galaxie

En ce temps-là, au détour de la XXIe galaxie, une douzaine d’esprits purs, venus des horizons multiples de l’espace intersidéral, étaient réunis sur un astre éteint, désert et poussiéreux, à des milliards d’années-lumière de la Planète Bleue.

Au centre d’un énorme astroblème évasé, flottait, dans l’atmosphère ténue, une représentation tridimensionnelle de l’univers connu, à une échelle infinitésimale. Au-dessous, une surface minérale, lisse et brillante comme un miroir, était entaillée de douze cercles concentriques, aussi larges et profonds que le Grand Canyon du Colorado. Chacun d’entre eux était occupé par l’Esprit en chef des Douze Galaxies Principales, selon l’éloignement de leur galaxie du Point Zéro.

Si les Grands Esprits, qui ne quittaient qu’exceptionnellement leurs galaxies propres, s’étaient ainsi réunis dans le plus grand secret, pour ce qui était, depuis la nuit des temps, la quatrième conférence intergalactique, c’est qu’un événement de la plus extraordinaire gravité les y avait contraints. D’ailleurs, après concertation télépathique, ils avaient décidé de ne pas se matérialiser, ce qui les avait dispensés d’utiliser les moyens de transport habituels et préservait l’anonymat de leur présence. L’une des propriétés d’un esprit non matérialisé, ou plus exactement, en l’occurrence, non incarné, c’est qu’il peut occuper tout l’espace mis à sa disposition, à la manière d’un gaz. Les douze Grands Esprits occupaient donc les douze cercles concentriques tout à leur aise.

Et c’est pourquoi les pseudonymes qu’ils utilisaient pour communiquer avaient été empruntés avec humour à la nomenclature des gaz rares et de leurs composés : Hélium, Néon, Argon Krypton, Xénon, Radon, XeF2, XeF4, KrF2, KrF4, RnF2, RnF4.

Un système sophistiqué de brouillage des transmissions télépathiques avait été établi autour de l’astre mort, aussitôt leur arrivée, et à présent ils ne pouvaient plus communiquer qu’entre eux douze et un treizième esprit, disparu, alors qu’il voyageait dans une météorite qui avait échappé à son contrôle et s’était écrasée sur le toit d’un pavillon de banlieue parisien, sur la planète Terre, dans le système solaire.

Cet accident, en soi, n’était pas grave. : le localiser avait été l’affaire de quelques années-lumière seulement. Mais son retour posait plus de problèmes, car les débris d’astéroïdes, comme chacun sait, ne disposent pas d’énergie mobilisable pour échapper à l’attraction terrestre. Et d’autre part, par le plus malheureux des hasards, il avait chu dans le grenier d’une espèce de savant fou, de Docteur Folamour, de Professeur Foldingue, qui avait entrepris et réussi, on ne sait comment, à fondre et usiner le principal métal de la météorite, en y emprisonnant du même coup le Treizième Esprit, qui malheureusement, ne pouvait se déprendre des atomes de la matière, à cause de la pesanteur bien trop importante sur Terre.

Mais ce n’était pas tout. Les deux objets que l’individu - un certain Vincent Dorme - avait confectionnés dans le sous-sol de son pavillon, avaient de manière inexplicable ou plutôt inexpliquée jusqu’à présent, la propriété de mobiliser le Treizième Esprit, dont les pouvoirs passaient alors sous le contrôle de l’utilisateur de l’objet. Mais jusqu’à présent, cela n’avait pas été compris par les Terriens, fort heureusement.

Enfin, comble de malchance, l’un des deux objets en question - un tube métallique d’une bonne vingtaine de centimètres, muni à ses extrémités de deux boutons-poussoirs - avait été volé dans la voiture de Dorme, et s’entre-déchiraient pour le récupérer les membres d’une secte soi-disant philanthropique, les services secrets de l’État Français - une minuscule région de la Terre - ainsi que les services de police à la suite d’un accident de la circulation encore mystérieux entre une camionnette de plombier et une voiture de sport.

Bref, la situation était grave. Et la conférence piétinait depuis un bon moment déjà. Il y avait eu tout d’abord la proposition cynique de Xénon de considérer le Treizième Esprit perdu pour le système et de procéder à la désintégration de la matière qui l’abritait. Cette solution radicale et si simple - un seul rayon d’un canon à faisceau de particules suffirait - avait l’avantage certain de préserver la sécurité des Douze Galaxies, en faisant disparaître la météorite aux nodules métalliques qui leur avait échappé, mais nul ne savait si un esprit pur pouvait résister à une désintégration, car cette manière fruste de quitter la matière en la détruisant n’avait jamais été utilisée auparavant. Seul Xénon, qui n’avait jamais pu supporter le Treizième Esprit, vota pour cette proposition.

XeF2 avait ensuite suggéré un débarquement massif, sous une matérialisation quelconque - martiens, lézards verts, aliens, ou fourmis géantes en arguant que l’armée n’avait pas eu d’entraînement réel depuis trop longtemps, et que cela lui ferait le plus grand bien. Mais c’était une solution chère et risquée car les Terriens avaient fait des progrès dans les armes de destruction, et on ne pourrait éviter quelques pertes en cas de contact. Or, les esprits purs incarnés étant devenus stériles depuis la dernière conflagration intergalactique, toute perte était un dommage irrémédiable. Cette solution fut donc écartée par dix voix contre deux.

Argon, qui jusqu’ici était resté silencieux, prit alors la parole : enfin, disons plutôt que sa pensée parvînt simultanément à ses onze interlocuteurs sur le mode pondéré qui était toujours le sien :

— Ne pourrions-nous pas par télépathie suggestionner les Terriens afin qu’ils considèrent les deux tubes issus de la météorite comme tellement dangereux pour eux qu’ils s’empressent de les mettre dans une fusée pour les renvoyer d’où ils viennent ?

— Dans une de nos galaxies ?

— Tout au plus dans notre direction. Ils ne nous ont pas encore détectés avec précision.

— C’est réalisable techniquement, quoique la Terre se trouve à une distance limite pour nous.

— Une fois dans l’espace, ce serait un jeu d’enfant que de récupérer les tubes sans le moindre dommage.

— Et nos savants seraient enchantés de recevoir de nouveaux échantillons de la technologie terrienne. Ils n’ont rien eu à se mettre sous le microscope depuis le contenu de cette sonde que nous avons détournée en faisant croire à sa disparition.

Un concert d’applaudissements télépathiques et de lasers de communication multicolores salua cet échange et la proposition lumineuse d’Argon fut aussitôt adoptée à l’unanimité.

Tous les problèmes cependant n’étaient pas résolus, loin de là, par son adoption. Le facteur temps en particulier jouait contre les Douze Grands Esprits, car la pensée se déplaçait, certes, plus vite que la lumière, mais il faudrait quand même un délai pour faire parvenir aux Terriens le message, et surtout pour qu’ils prennent les mesures nécessaires au réacheminement des objets, qui étaient pour eux des mesures lourdes, très lourdes, et cela risquait d’être long, trop long.

D’autant plus que les deux tubes étaient entre des mains différentes à présent, avec à leur poursuite, au moins trois groupes rivaux de terriens, disposant de moyens divers, et peut-être, peut-être, une quatrième puissance extra-terrestre celle-là, identifiée sous l’expression petits hommes gris !

Lâchée par Hélium, qui occupait le cercle extérieur, car sa galaxie était la plus proche de la Terre, cette dernière information, qui par voie de conséquence n’avait pu encore parvenir aux galaxies plus lointaines, fit à l’assemblée l’effet d’une bombe à fusion nucléaire.

— Quoi ? Mais cela change tout. Et qui c’est, ceux-là ? hurla Krypton silencieusement.

— Nous n’en avons aucune idée pour l’instant. Leurs pensées nous sont impénétrables.

— Et combien sont-ils ?

— Peu.

— C’est un peu juste, comme précision, mon cher Hélium. Vous êtes bien chargé de la sécurité extérieure du système, non ?

— En effet. Mais, nous n’étions pas concernés par cette affaire avant que cet astéroïde ne vous échappe, si je ne m’abuse.

— Ne nous échappe, si vous le voulez bien. Ai-je besoin de vous rappeler que le Treizième Esprit appartient au S.A.I et qu’il était en mission d’observation des espaces interplanétaires du système solaire quand cet incident est survenu ?

— Exact. Mais je vous rappelle que cette mission n’a pas fait l’unanimité parmi nous.

— Nous nous égarons. Que savez-vous exactement de ces petits hommes gris ?

— Nous avons écarté l’hypothèse d’une intoxication du type Rosewell parce que s’il s’agissait d’humains, d’hominidés, ou de clones des uns ou des autres, nous capterions leurs signaux de pensée. Nous pensons donc, par élimination à des êtres extra-terrestres, sans savoir d’où, ni quand ni comment ils sont venus. Nous ignorons encore leurs intentions exactes, mais tout laisse à croire qu’elles sont malignes, étant donné leurs méthodes.

— Quelles méthodes ? s’enquit Néon, le responsable de l’Information et de la Propagande

— Ils ont inféodé la secte du Pardon Universel dirigée par un certain Jacques de Limelette, qui leur sert de bras séculier et s’appliquent pour l’instant à recueillir des informations stratégiques sur la planète Terre.

— Mais pourquoi la France ?

— Ils ont déjà été repérés ailleurs, entre autres, en Chine.

— Pourquoi - dit alors XeF4- avez-vous écarté l’hypothèse d’humanoïdes à la solde d’un ou plusieurs pays ou continents de la Terre ?

— Leurs robots nous sont aussi transparents que l’eau la plus claire. Ils sont programmés dans un langage qu’un enfant de deux ans comprendrait.

— Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas. Savez-vous ce que c’est qu’un enfant ? En avez-vous seulement vu un ?

— Non seulement j’en ai vu, j’en ai même eu, mon cher, il y a bien longtemps, alors que j’étais en mission sur terre, à l’ère quaternaire, pendant la guerre du feu. Hélas, mon enveloppe charnelle, lui et ma compagne n’ont pas survécu à un séisme himalayen.

— Trêve de souvenirs, voulez-vous. Revenons à nos petits hommes gris, trancha Argon. S’agit-il d’esprits réincarnables comme nous, ou sont-ce plutôt des êtres mortels à vie unique ?

— Nous l’ignorons encore, mais certains indices pourraient faire pencher en faveur de la première hypothèse.

— Quels indices ?

— Les policiers français ont découvert sur le palier d’un appartement où se trouvait l’un des tubes un être vivant qu’ils ont qualifié de pizza au vu de sa forme et de ses couleurs étranges, et qui a disparu peu après à leur insu.

— Et vous en concluez... - coupa Radon.

— Qu’il s’est peut-être télétransporté ou désincarné, désintégrant son enveloppe.

— Admettons...

Ce qui finalement inquiéta le plus les Douze Grands Esprits, ce fut de constater que leurs immenses pouvoirs ne leur permettaient pas de lire les pensées des petits hommes gris. Cet aspect du problème occulta même complètement la récupération du Treizième Esprit. C’était en effet la première fois que dans l’univers des êtres doués de pensée leur résistaient. Et c’était pour tout dire très inquiétant. Car dans le système des Douze Galaxies, la cohésion et la sécurité étaient assurées principalement par le fait qu’à tout moment, les pensées de chacun pouvaient être connues. Bien entendu, la sphère privée échappait à la transparence automatique, et il fallait en connaître la clé, mais la sphère sociale non. Si jamais un petit homme gris accédait à leurs galaxies, son invulnérabilité mentale le rendrait tout-puissant. À condition qu’il puisse aussi lire dans nos pensées - tenta de dire quelqu’un. Et les contrôler - renchérit un autre. On n’en est pas encore là - fit un troisième. Peut-être même ne sont-ce que des animaux, puisque nous ne détectons pas de pensée construite chez eux.

— Des animaux ? Etes-vous fou ? dit Argon. Et pourquoi s’intéresseraient-ils de si près à nos tubes, je vous prie ?

— Des animaux apprivoisés, éduqués, pour une tache précise, comme ces chiens, ces singes ou ces dauphins que les Terriens utilisent pour aider leurs handicapés... ou leurs militaires.

— Attendez... coupa Hélium. Ce pourraient être par exemple des humains lobotomisés, asservis à la volonté d’un maître ?

— Par exemple.

— Dans lesquels on aurait remplacé la pensée autonome par un circuit électronique préprogrammé ou même téléprogrammable.

— On revient aux humanoïdes, si je ne m’abuse.

— En effet, excusez-moi...

Dans un autre espace-temps, aux confins de l’univers, dans la galaxie de la Voie Lactée, à l’intérieur du système solaire, sur la planète Terre, quelques milliards d’humains noyaient dans le champagne pour les plus riches, et dans n’importe quelle boisson fermentée pour les plus pauvres, la dernière nuit de l’an 2000 de l’ère chrétienne. Instruits par les chroniques du passage à l’an 1000, chamanes, sorciers, astrologues, savants, journalistes, autorités religieuses et politiques, avaient tous minimisé cette fois les conséquences de l’avènement du troisième millénaire...

©Pierre-Alain GASSE, 1998.

Vous êtes le audienceième lecteur de cette nouvelle depuis le 28/05/2000. Merci.

Retour au sommaire

Laisser un commentaire à l'auteur Télécharger en PDF audience