Mort d'un baiseur

épingle

©B.V.2005

Lorsqu’on découvrit Guillaume Lecouvreur au pied de son lit, dans sa garçonnière de l’impasse du Champ des Nues, il était nu comme un ver, lui aussi, sans la moindre trace de blessure apparente et néanmoins en état de rigidité cadavérique « depuis une bonne dizaine d’heures », selon Cyprien Lacordaire, le médecin-légiste.

Le cadavre semblait avoir été déplacé post mortem, mais pour le reste, il faudrait attendre le verdict détaillé de l’amateur de viandes froides, toujours à prendre avec des pincettes et avare de précisions dans ces moments-là.

Cela dit, l’inspecteur Dumortier avait déjà de quoi se mettre sous la dent : un détail des plus insolites : il n’avait encore jamais vu ça, en vingt-cinq ans de carrière : épinglée sur le sein gauche, juste à l’emplacement d’un revers inexistant, la victime arborait, comme une espèce de décoration posthume, une photographie en noir et blanc. Deux gouttes de sang avaient perlé et coagulé, là où l’épingle avait transpercé la peau.

C’était un étrange cliché, d’un format classique, mais ramené à du 6x4cm. Pas très ancien, puisque sans bord crénelé ; il n’y avait d’ailleurs pas de bord du tout. L’envers du tirage n’était pas jauni. Papier Kodak, sans autre indication. Seul un spécialiste pourrait en dire plus. Dumortier montrerait ça à son ami photographe, Delaunay, dès ce soir.

On y voyait en premier plan, gisant dans l’herbe, sur la gauche, trois vantaux d’une porte de garage, dont deux avaient encore leur oculus de plastique. Au fond, décentré sur la droite et vu en contre-plongée, le pignon droit d’une haute villa abandonnée en pierre de taille, aux ouvertures murées. Un escalier d’une dizaine de marches montait jusqu’à un petit perron surmonté d’un auvent.

En arrière-plan, une série de panneaux indicateurs, hélas illisibles, semblait indiquer que l’on se trouvait au bord d’une voie menant vers la gauche à plusieurs sites ou localités. L’absence de toute construction comme de toute végétation haute de l’autre côté de cette route accréditait l’hypothèse d’une voie côtière, d’un Boulevard de la Mer ou quelque chose d’approchant. C’était bien vague. S’il fallait passer en revue toutes les villas abandonnées du bord de mer dans la région, une compagnie de militaires n’y suffirait pas ! Et d’ailleurs, quel valeur avait cet indice ? Signature ? Localisation ? Diversion ?

Un meurtre avec mise en scène ?

Guillaume Lecouvreur n’était pas inconnu des services de police. Outre diverses contraventions pour excès de vitesse en des temps où cela ne tirait pas encore à conséquence, il s’était fait remarquer, à deux ou trois reprises, pour tapage nocturne.

Ce visiteur médical, quadragénaire et toujours célibataire, avait une réputation de séducteur qui n’était pas usurpée. On disait en ville que tous les médecins de sexe féminin avaient subi ses assiduités et qu’un certain nombre, pour ne pas dire un nombre certain, y avait succombé.

C’est que, sans avoir le physique avantageux du don juan ordinaire, il présentait bien, Guillaume Lecouvreur, et surtout… il savait faire rire ces dames. Femme qui rit n’est-elle pas déjà à moitié dans votre lit ?

Quel pouvait être le lien qui unissait ce coureur de jupons à cette villa abandonnée dont on lui avait épinglé la photographie sur le cœur ?

Vers dix-neuf heures trente, ce soir-là, l’inspecteur principal Dumortier, col de pardessus relevé à cause d’un petit vent d’est, franchissait le seuil du studio de son ami Robert Delaunay, alors que celui-ci se préparait à fermer boutique :

— Salut, Robert !

— Tiens, Hippolyte, ça fait un bail, dis donc !

— Oui, c’est vrai, tu m’excuseras, mais j’ai le temps de rien, avec ce foutu métier.

— Donc, si tu es là, c’est que…

— On ne peut rien te cacher.

— Et c’est quoi, ton problème ?

— Mon problème, c’est ça, répondit Dumortier, en sortant la photo de la villa de son portefeuille.

Robert Delaunay se saisit du cliché et rajusta ses lunettes :

— Et alors ?

— Tu ne saurais pas où ce cliché a été pris, par hasard ?

— Tu es bien bon. J’ai trimbalé mon trépied et mes appareils, dans toute la région, c’est vrai, mais pas au point de connaître toutes les villas de la côte, mon vieux !

— Dommage, parce que là, je patauge pas mal.

— Quoique… ces énormes poteaux de granit brut avec ces grosses chaînes pour délimiter le terrain sur l’avant, ça me dit quelque chose. Ce caractère un peu m’as-tu-vu me rappellerait plutôt la Côte de Granit Rose.

— C’est tout ?

— C’est tout, c’est tout… c’est déjà pas mal, je trouve, non, pour un service gratuit ?

— Et cette photo, elle date de quand, d’après toi ?

Delaunay retourna le cliché, s’en alla prendre une loupe sur son bureau, examina soigneusement l’envers et l’endroit de la photographie avant de conclure :

— À vue de nez, je dirais, une vingtaine d’années au moins. Les panneaux indicateurs m’ont l’air d’un modèle ancien. L’envers du papier est plus sec et rugueux que celui d’aujourd’hui Je pourrais retrouver à quelle date a été modernisé le logo Kodak qui identifie le cliché, mais cela ne t’avancerait pas beaucoup plus. C’est du papier utilisé en général par les amateurs pour des tirages maison. Qualité moyenne. Pour des travaux courants.

— Bon, eh bien, merci vieux, c’est déjà ça. Je vais voir ce que je peux en tirer, et si j’ai du nouveau en relation avec ce que tu m’as dit, je reviens te voir. D’accord ?

— Pas de problème, mais là, désolé, je ne peux pas t’en dire plus.

Le lendemain, sur son bureau, au Commissariat, le rapport du légiste attendait Dumortier. Toujours écrit en des termes qu’il avait appris à décoder au fil des ans, ce qui ne l’empêchait pas de pester à chaque fois contre le caractère hermétique du vocabulaire médical.

Première surprise : le dernier repas du mort avait été un vrai gueuleton : huîtres, foie gras, homard, poularde et pas arrosé d’eau claire, visiblement. Plus d’un gramme cinquante d’alcool par litre de sang au moment du décès, établi entre trois et quatre heures du matin.

Deuxième surprise : il était mort en queutant, Cyprien Lacordaire était formel ! Viagra à l’appui. Et pas qu’une fois. Les glandes séminales étaient complètement à plat. Arrêt cardiaque. Du cholestérol plein les artères. C’était à prévoir, à force de manger au restaurant et de mener une vie de patachon. En plus, il fumait !

Mort « accidentelle » en quelque sorte. Et cette photo, alors ?

Avec un client de cet acabit, il fallait rechercher les maîtresses, récentes et anciennes. Plutôt anciennes, s’il s’agissait d’une vengeance. Vérifier leur emploi du temps. Les interroger sur la villa. Oui, voilà, la marche à suivre était fixée. Y’avait plus qu’à.

Le répertoire du téléphone portable, le carnet d’adresses de la messagerie de la victime livrèrent une liste impressionnante de noms, prénoms féminins et numéros de téléphone. Comment trier le bon grain de l’ivraie dans tout cela ? Dumortier lista les appels les plus récents et commença son travail de fourmi : « Allô, Mademoiselle ou Madame X., Inspecteur Dumortier, Police Judiciaire, nous avons trouvé vos coordonnées dans le carnet d’adresses de Monsieur Guillaume Lecouvreur, quand l’avez-vous vu ou lui avez-vous parlé pour la dernière fois ? » À chaque fois, s’ensuivait un silence, puis une question plus ou moins embarrassée : « Guillaume ? Il lui est arrivé quelque chose ? » Au bout du vingtième appel, l’inspecteur Dumortier ressentait une folle envie de répondre insolemment « À votre avis ? » à cette question oiseuse, mais il sut raison garder et trouver des mots plus adaptés pour annoncer la triste nouvelle à celles qui gardaient un souvenir ému de leur rencontre avec Guillaume Lecouvreur comme à celles qui se contentèrent d’un laconique : « Histoire ancienne. Aucune nouvelle et tant mieux ».

Si l’une de ces conquêtes avait quelque chose à se reprocher, elle mentirait, probablement, et Hippolyte Dumortier espérait que le son de sa voix trahirait ce mensonge. C’est pourquoi, il enregistra tous les appels, afin de pouvoir les réécouter à loisir ensuite.

Au cours des six derniers mois, Guillaume Lecouvreur avait ajouté à son tableau de chasse pas moins de trente-cinq jeunes femmes et il semblait bien qu’il entretînt des relations avec plusieurs maîtresses à la fois. Ce gars-là brûlait la chandelle par les deux bouts, y’avait pas à dire !

De tous ces contacts, un seul mentit effrontément, niant avoir eu quelque relation que ce fût avec le défunt, alors que la mémoire du portable et le listing des Télécoms prouvaient le contraire. Une grande naïve, à l’évidence ! Mais Dumortier se garda bien de lui révéler ce qu’il savait et se contenta de la mettre sur écoutes et de la prendre en filature.

En cette matière, l’expérience lui avait appris que la plupart des suspects mis dans une situation de porte-à-faux n’ont d’autre réaction que la fuite en avant : soit pour essayer de vous emmener sur une fausse piste s’ils sont du genre coriace, soit pour se compromettre davantage en tentant d’escamoter des éléments à charge.

Patience et longueur de temps, donc, pensait Dumortier, qui avait encore des lettres.

Mais sa hiérarchie renâclait. Pressée, par définition, et de surcroît, toujours méfiante face à cet individualiste endurci, elle lui tenait la bride courte.

C’est que, depuis une malheureuse fusillade où son partenaire avait laissé la vie, Dumortier refusait tout coéquipier attitré et avait même mis sa démission dans la balance pour obtenir gain de cause.

S’il lui était déjà arrivé de se mettre en difficulté, à chaque fois, il s’en était sorti et, au moins, n’avait mis en jeu la vie de personne d’autre.

Aussi tolérait-on cette entorse à la procédure normale, contre un rapport toutes les trois heures que Dumortier s’efforçait de fournir, avec quelques ratés involontaires ou stratégiques, c’était selon.

Il campait donc, depuis quatre ou cinq heures, dans un « sous-marin » de la Grande Maison devant le domicile de la dénommée Adèle Humbert, secrétaire médicale de son état, lorsque celle-ci mit le nez dehors.

C’était une élégante personne, sexy et peroxydée, avec un certain nombre d’heures de vol au compteur, songea Dumortier en la voyant. Quarante, quarante-cinq ans. Il la photographia sous toutes les coutures tandis qu’elle montait dans sa 206 CC, après un regard inquiet aux alentours.

Ils prirent la route de la côte Nord. Elle conduisait nerveusement, accélérant dès que la limitation de vitesse s’élevait, pour stabiliser son allure à dix kilomètres au-dessus. Dumortier lui filait le train avec prudence.

Ils passèrent les premières stations de la côte du Goëlo. La route littorale avait été redressée par endroits, mais serpentait encore à d’autres, tout en évitant pointes, caps et falaises.

Ils atteignirent Paimpol. Elle poursuivit sa route. Où donc allait-elle ainsi, un jour de semaine, après s’être fait porter pâle auprès de son employeur, un radiologue du chef-lieu ?

Dumortier en avait une petite idée, qu’il s’abstint néanmoins de formuler, par une espèce de superstition inavouée. Mais Delaunay avait sans doute vu juste. Ils se dirigeaient tout droit vers la Côte de Granit Rose. Ils franchirent le Trieux, puis le Jaudy, avant d’obliquer vers le Nord-ouest.

Ploumanac’h ?

Bizarre. Vu la pression immobilière dans le secteur, comment une villa bien située pouvait-elle être restée à l’abandon, au point d’avoir été murée pour éviter les squatters ? Un héritier introuvable ? Une indivision insoluble ? Un achat par le Conservatoire du Littoral, en vue d’une restauration du site ? Une affaire entre les mains de la Justice ?

Il fallait d’abord la trouver, cette villa, mais son petit doigt lui disait que ce serait bientôt chose faite.

Adèle Humbert traversa Perros-Guirec sans s’arrêter.

Entre le Phare de La Clarté et les rochers de Ploumanac’h, roses à souhait sous le soleil de septembre, la villa était bien là, esseulée, toutes ouvertures occultées, parmi les herbes hautes d’un ancien parc, mais vue du bord de la route, on aurait eu du mal à la reconnaître sans les poteaux de granit brut et les chaînes d’ancre qui la séparaient de la voie routière.

Adèle Humbert se gara du côté opposé, sur un des emplacements délimités à cet effet. Hippolyte Dumortier la dépassa pour stationner un peu plus loin, dans la première entrée de maison qu’il trouva.

Il revint au pas de gymnastique vers la villa, donna au passage un coup de couteau dans l’un des pneus arrière de la 206, puis eut un instant d’hésitation : devait-il entrer dans la maison à la suite d’Adèle où attendre qu’elle ressorte ? Il l’avait aperçue en train de disparaître, probablement par une entrée de cave, sous le petit perron du pignon droit.

Il décida d’attendre, car la peur est mauvaise conseillère et il ne voulait pas effrayer Adèle Humbert. Au bout d’une dizaine de minutes, il la vit revenir à petits pas vers son véhicule en s’essuyant le visage d’un revers de main. Au moment où elle découvrait son pneu à plat, Dumortier approchait dans sa direction, d’un pas dégagé.

Elle eut un geste d’agacement, suivi d’un regard circulaire inquiet, qui s’éclaircit soudain lorsqu’elle aperçut Hippolyte :

— Monsieur, Monsieur, excusez-moi de vous importuner ainsi, mais je viens de crever et… dit-elle avec un sourire enjôleur.

On sentait la personne habituée aux entrées en matière assez directes.

— Si je puis vous être utile, ce sera avec le plus grand plaisir – dit Dumortier, entrant dans son jeu – Mais, ajouta-t-il, après un regard d’inspection du véhicule, je crois bien que sur ce modèle, la roue de secours se fixe sur le porte-bagages extérieur et je vois que vous n’en avez pas…

— Oh ! Mais comment faire alors ? Je ne vais quand même pas…

— Vous allez où ?

— Je rentre sur St-Brieuc.

— Je devais moi-même m’y rendre dans l’après-midi. Un peu plus tôt ou un peu plus tard… Mon véhicule est garé à quelques pas d’ici, devant chez moi, mais je vous préviens, il n’est pas de la même famille que le vôtre.

— Aucune importance, cela ira très bien, je vous remercie, vous êtes très aimable.

Adèle Humbert prit place sur le siège un peu haut du fourgon, découvrant de fort jolies jambes. Dumortier actionna la fermeture centralisée des portes en même temps que le démarreur. Sa passagère eut comme un mouvement de recul instinctif, mais enclencha sa ceinture de sécurité sans mot dire. Ils commencèrent à rouler.

Hippolyte Dumortier ne savait trop par où commencer et un silence pesant menaçait de s’installer dans la cabine. Quand faut y aller…

— Madame Humbert …

— Vous connaissez mon nom ?

— Je me présente, Hippolyte Dumortier, Police Judicaire…

Le sourire amorcé à l’audition du prénom s’était transformé en rictus soudain, mais elle se reprit aussitôt :

— Enchantée, Inspecteur, mais d’où me connaissez-vous, je vous prie ?

— J’y arrive, Madame Humbert, j’y arrive, écoutez-moi bien : j’enquête sur le décès de Monsieur Guillaume Lecouvreur et vous figuriez sur son carnet d’adresses, comme beaucoup d’autres, n’est-ce pas ?

Adèle Humbert eut un regard courroucé vers Dumortier, mais préféra garder un mutisme prudent :

— Nous savons que vous êtes entrée en contact avec lui récemment, malgré vos dénégations.

— C’est ma vie privée, Inspecteur, je n’avais pas à…

Dumortier lâcha un instant le volant d’une main pour sortir un papier plié en quatre de la poche intérieure de sa veste.

— À présent, cette commission rogatoire vous contraint à me répondre, Madame Humbert.

— Et de quoi m’accuse-t-on ?

— De rien encore, si vous pouvez expliquer raisonnablement ce déplacement dans la villa dont on a retrouvé la photo épinglée sur le cadavre.

— Cette villa appartenait à mes parents autrefois. Vous pouvez vérifier.

— Appartenait, dites-vous. Et pourquoi a-t-elle été laissée ainsi à l’abandon ?

— Histoires de famille. Des embrouilles de succession. Cela arrive, non ?

— Certes, mais cela ne me dit pas pourquoi vous avez pris votre journée pour un voyage éclair jusqu’ici, Madame Humbert. Je vais être obligé de vous faire fouiller en arrivant au Commissariat. Et sans réponses plus convaincantes aux questions du juge, vous courez droit à une inculpation, au minimum pour faux témoignage, voire dissimulation de preuves et au pire pour séquestration, si ce n’est pour meurtre avec préméditation.

Elle s’indigna, aux accusations de Dumortier :

— Jamais je n’aurais tué Guillaume… je l’aimais… je l’aimais tellement…

— Vous, oui, mais lui non, n’est-ce pas ?

— Mais si, enfin, à sa façon. Il accumulait les conquêtes d’un soir, mais moi, j’étais sa régulière, son port d’attache.

— Vous en avez quand même eu assez d’être la cinquième roue du carrosse, n’est-ce pas ?

Elle ne répondit pas. Hippolyte Dumortier lança son hypothèse :

— Vous lui avez tendu une sorte de piège amoureux, Madame Humbert. Et il n’en est pas sorti vivant. Mais nous savons que vous ne l’avez pas tué. Pas directement, du moins.

Elle eut un regard embué vers Dumortier. « Ça y est, elle va casser le morceau », pensa celui-ci.

— Je voulais qu’il me revienne. Je l’ai convaincu d’accepter un rendez-vous. J’avais tout préparé au studio, j’avais encore la clé. Dîner fin. Chandelles. Le grand jeu, quoi… Je savais bien que le lui faisais encore de l’effet. Et puis, Guillaume était toujours prêt. Enfin, je croyais, parce que j’ai découvert un flacon de pilules bleues dans la poche de son veston, après…

— C’est cela qui l’a tué, Madame Humbert, d’après le légiste. Il est mort dans vos bras, n’est-ce pas ?

— C’était la quatrième fois, il allait…, nous allions… et il est tombé sur moi, comme une masse. Je n’ai pas compris tout de suite. C’était horrible…

À présent, elle était agitée de tremblements et finit par éclater en sanglots. Dumortier tira un mouchoir en papier de la boîte de Kleenex posée sur le tableau de bord.

— Et pourquoi n’avez-vous pas appelé la police ?

— J’ai paniqué. Répondre aux questions, dans cette situation, c’était trop humiliant. Je n’ai eu qu’une hâte, partir de là. J’en ai même oublié de fermer la porte, je crois.

— En effet, Madame Humbert. Mais, cette photo ?

— Il avait douze ans, moi quatorze, dans le garage de la villa de mes parents, cet été-là… Mais les photos de l’époque, je les ai brûlées, un jour de jalousie. Il me restait celle-là, - une de celles prises pour le notaire - qui traînait dans mon portefeuille.

— Un message d’adieu ?

— En quelque sorte.

— Vous la lui avez quand même épinglée sur le cœur, non…?

— Ma seule vengeance, Inspecteur, et il était déjà mort.

Des sanglots étouffés la secouèrent à nouveau pendant un moment que Dumortier respecta. Puis, il tenta une dernière question :

— Alors, qu’êtes-vous venue récupérer ici aujourd’hui, Madame Humbert ?

— Rien qui vous soit utile, inspecteur. Des souvenirs d’un soir d’été, c’est tout.

Puis, le silence s’installa dans la cabine, meublé par le seul ronronnement du moteur sur la départementale 767, en direction du chef-lieu.

Hippolyte Dumortier, songeant à la mort enviable de Guillaume Lecouvreur, l’imagina rejoignant la cohorte du Président Félix Faure, du Cardinal Jean Daniélou et autres baiseurs, morts en épectase, dans l’exercice de leurs fonctions.

Drôle d’enquête, tout de même !

©Pierre-Alain GASSE, novembre 2005.

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